
Le créateur et sa muse : l’oeuvre, l’amour, la mort … l’éternité. Telle est la question , l’amour nait-il de la passion du peintre pour sa muse et du modèle pour son créateur, ou encore est-il le fruit de la propre réalité sublimée de ses protagonistes, de leur besoin vital de le rendre sacré voire immortel ?
Le mystère Ophelia de Céline Devalan soulève ces questions existentielles dans une oeuvre mêlant peinture, poésie, théâtre et cinéma, tout en fusionnant parfaitement deux récits d’amours impossibles. Cette pièce de théâtre décrit ainsi deux passions, projetant simultanément des extraits cinématographiques de l’oeuvre shakespearienne pour évoquer la relation passionnelle d’Hamlet et d’Ophélie, en combinant harmonieusement la similitude avec elle de la relation tumultueuse de Rossetti le peintre préraphaélite avec son modèle devenue peintre et muse , Lizzie-Elizabeth- Siddal. Les deux sont ainsi jouées sur le plateau .

Ces deux destinées tragiques des jeunes femmes, l’une fictive et l’autre devenue réelle, ont de quoi nous interroger : Lizzie Siddal, modiste rêvant de devenir célèbre et indépendante financièrement, est devenue la modèle immortelle d’Ophelia sous les coups de pinceau de Mallais, une muse admirée dans la monde de l’art. Mais a t-elle été victime de la malédiction issue du drame d’Ophélie, d’une névrose qui l’a gagnée jusqu’à la rendre confuse et mettre fin à ses jours ?

A t-elle été déchue de son droit d’être une femme libre dans une époque où celle-ci peine à s’exprimer et à obtenir son indépendance ? Lizzie Siddal, a t-elle été trop loin en revendiquant son droit de peindre à son tour face à l’ambition de Dante Gabriel Rossetti-le peintre raphaelite, son pygmalion et aussi poète -? Ce, tout en sachant qu’elle resterait emprisonnée dans cet amour fusionnel mais possessif, cruel et égoïste ? A t’elle été sous l’emprise d’un fantasme idéalisé par cet artiste fascinant et rebelle, prônant depuis le début sa liberté et son libertinage mais en pensant rester son unique, son adorée ?
On peut se demander pourquoi juste après la mort de Lizzie, Dante Gabriel Rossetti l’incarna en une éternelle Beata Béatrix , symbole de son désir pictural d’absolu. C’était peut-être de sa part un geste de désespoir, de culpabilité post-mortem, comme pour honorer un ultime amour envers celle qui devint sa fidèle amante mais une muse infidèle à ses yeux posant pour son illustre rival Mallais, la contraignant au point de la rendre malade et dépressive …Puis au bout d’une décennie de leur tumultueuse rencontre, en infidèle futur mari,on peut se demander pourquoi alors, il en fit son épouse dévouée alors qu’ila vait toujours honni le mariage? Ou est-ce le geste ultime d’un défi envers l’illustre Mallais, son ami et rival qui avait osé peindre son modèle à la belle carnation et à la chevelure rousse qu’il avait sacralisé ?
On sait que le peintre avait souhaité ne pas être enterré auprès de sa pas si bien aimée épouse . Ainsi Lizzie Siddal ne représente t-elle pas encore aujourd’hui, la femme prise comme objet de désir, de soumission voire de supplice ? Telles sont les nombreuses questions que pose Le mystère Ophelia comme un secret jamais dévoilé.

La pièce de Céline Devalan relate cette relation orageuse entre Dante Gabriel Rossetti et Lizzie Siddal avec une esthétique scénographique à couper le souffle. Le duo des deux acteurs -Romain Arnaud Kneisky et Céline Devalan excellents dans leur rôle -est en parfaite symbiose avec les personnages qu’ils incarnent sur le plateau et cinématographiquement. Les projections picturales dévoilant les tableaux au public dont ce fameux Le mystère Ophelia, au fur et à mesure que leur histoire avance vers son dénouement, les scènes d’Hamlet et d’Ophélie cinématographiées -citons ici les créations lumière et vidéos d’Antoine Le Gallo et la collaboration artistique de Caroline Darnay -. Tous ces éléments sont des ornements qui contribuent à magnifier l’histoire vraie de Lizzie, héroïne tragique, rendue présente et immortelle à nos yeux grâce à une force de narration et une dramaturgie intenses et singulières.
Bravo donc pour ce beau travail à la compagnie La petite vadrouille et pour cette avant -première parisienne des plus réussies au Théâtre du Lucernaire. Courrez à votre tour découvrir ce petit bijou théâtral qui sera à l’affiche dès le 4 juillet à 10h au festival Off d’Avignon au Théâtre des Corps Saints.
Safia Bouadan
Distribution
Auteure- metteuse en scène : Céline Devalan et rôle de Lizzie Siddal et d’Ophélie en collaboration artistique avec Caroline Darnay. Et Romain Arnaud Kneisky dans le rôle de Dante Gabriel Rossetti et d’Hamlet
Création lumière et vidéo : Antoine Le Gallo

